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L'amour aux temps de Corona (hommage à G.G. Marquez)

Suzanne Correa ne savait que faire devant le policier impassible. Son regard dur caché derrière le masque n'invitait pas au dialogue.

-Vous n'avez pas le droit de sortir de chez vous Madame. Les instructions sont formelles. Rentrez à la maison.

Il refusait catégoriquement de la laisser passer. La traversée de ce canal a toujours été un obstacle dans sa vie. Cela la ramena à cet épisode douloureux,  des années  en arrière.

Elle était jeune à l'époque. Elle avait 16 ans, lorsqu'elle tomba amoureuse de Siva. Caressant de partir un jour en France, ce dernier  venait chez elle pour prendre des cours de français avec son père. Il habitait de l'autre côté. L'autre côté ; c'était l'autre côté du canal. Le quartier tamoul. Une partie de la ville qui lui était interdite, car elle était habitée par les indigènes; les tamouls.

Le jour où elle avait décidé de passer de l'autre côté pour rejoindre son amant; elle fut rattrapée, battue et mariée au premier français venu. Elle avait quitté Pondichéry sans avoir vu Siva.

Suzanne fut agréablement surprise lorsqu'il reprit contact avec elle récemment. Le cœur battant, elle décida de le retrouver après toutes ces années. Ayant chacun perdu leur conjoint, rien ne pouvait les empêcher de recommencer une histoire d'amour interrompue tragiquement.

 

À peine arrivée à Pondichéry, elle fut confrontée au confinement décrété par le gouvernement local. Mais, elle voulait quand même tenter sa chance.

Debout au niveau du Law College dans la rue Bussy, elle essayait de raisonner le policier pour qu'il la laisse passer de l'autre côté. Devant son refus, elle était désespérée. Comment pouvait-elle lui expliquer qu'elle souhaitait aller voir son ancien amoureux. Cinquante ans plus tard, elle se retrouvait dans la même situation de ne pouvoir rejoindre Siva.

-Et eux ? Pourquoi  ils ont le droit d'être dehors ? fit-elle. Elle pointa du menton un groupe de personnes qui se tenait à l'angle du quai d'Ambour et la rue Bussy.

Des hommes en robes couleur safran faisaient un vacarme assourdissant en tapant sur des assiettes métalliques. Une femme aux cheveux cours avec des lunettes s'époumonait avec un slogan "Go Corona, go. Go Corona, go". Une forte odeur de bouse et d'urine de vache se dégageait d'eux.

-Eux!! Ce sont des citoyens consciencieux qui essaient de sauver notre pays de cette calamité.

Résignée et dégoutée, Suzanne fit demi-tour et rentra chez elle.

 

Elle était légèrement perturbée de ne pas pouvoir recevoir la bénédiction de Lakshmi. L'éléphante du temple n'était pas au temple. Seul Tripod Dog Baba faisait son malin devant sa blanchisserie de la rue de la Marine. Le confinement était levé, et elle se dirigeait vers la maison de Siva.

Le son d'une conque et d'une timbale en cuivre l'accueillit lorsqu'elle entra dans la petite ruelle.

Son cœur s'arrêta de battre. Des hommes assis sur le thinnai et sur des bancs en bois devant la maison de Siva la regardèrent, surpris.

Elle avança en hésitant.

Un cri déchirant s'éleva de l'intérieur de la maison.

"Aiyo, magarasa, poiyttiya !!! “ Des pleureuses répétaient en chœur la phrase maudite.

Suzanne Correa éclata en sanglots.

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