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L´amour au temps de Corona III

 

            -Comment as-tu rencontré mamie Élise, pépé ?  

Le petit garçon assis sur les genoux de son grand-père caressait tendrement la grosse barbe rougie au henné.

-Mais Clément, je te l’ai déjà raconté plusieurs fois. Je peux te dire une histoire, si tu veux.

-Non pépé Mousty. C´est celle-ci que je veux. Insista le garçon.

Installé sur le thinnai de la rue Cazy, le vieil homme essayait tant bien que mal à échapper à cette gentille corvée. Il regarda aux alentours et aperçut un chien a trois pattes et demi qui dormait sur le trottoir.

-Tiens, tu veux celle de Tripod Dog Baba ?

Le chien qui attendait son briyani du vendredi après-midi se réveilla en entendant son nom et bailla bruyamment.

-Ah non ! Pas encore Tripod Dog Baba avec sa compagne Mira et sa blanchisserie qui se trouve dans la rue de la Marine. Tu m´as déjà raconté cette histoire plusieurs fois.

Devant l´obstination du garçon Moustapha n’eût d’autre choix que de raconter le récit de sa vie pour la énième fois.   

 

                 « C´était un jour de printemps 2020. J´étais parti en France pour travailler sur un projet de photographie dans une école de la Loire. J´avais déjà fait un premier séjour l´année d´avant. Comme je m´étais fait des amis durant ce premier voyage, j´avais décidé d´y aller plus tôt pour leur rendre visite. Quelques jours après mon arrivée à Paris, le monde fut touché par une sévère pandémie. Virus Corona qu´il l´appelait. Le monde entier s´était arrêté, et les gens étaient confinés chez eux sans le droit de sortir. Le trafic aérien fut suspendu et les frontières fermées. Au début, cette situation m´amusa et je riais intérieurement. Toute ma vie, comme la plupart des pondicheriens, j´avais caressé l´espoir de vivre en France. J´étais heureux d´entre en France et je jouissais de ce séjour prolongé imprévu.
Mais, ma joie tourna très vite à la tristesse et à la déprime. J'étais enfermé !
Oui, enfermé dans cet appartement près du Panthéon où je ne voyais Paris qu'à travers mes fenêtres, sans pouvoir fouler ses pavés.

 

                Un jour, j'eus vent qu'à la Gare du Nord, un restaurant distribuait des repas chauds. Cela faisait plus de 3 semaines que je n'avais pas mangé indien. Bravant le confinement, je me rendis au quartier indien. Une longue file s'étirait devant le restaurant Sangheeta. Des personnes de tous âges et de toutes origines faisaient la queue en respectant la distance requise. Vidée de ses badauds habituels, la rue Faubourg Saint Denis paraissait étrangement belle. Je demandais à la jeune fille qui était devant moi de garder ma place, et je m'éloignais pour aller prendre quelques photos. Lorsque je revins, la file avait considérablement rétréci. Mon ventre criait faim en sentant la bonne odeur de la cuisine indienne. Alors que je m'approchais des volontaires qui distribuaient les repas, je crus voir une certaine tristesse dans leur regard caché par le masque. Arrivé à leur hauteur, je compris la raison de leur désarroi. La jeune fille devant moi était la dernière personne à recevoir son sac de repas. Nous étions encore quelques dizaines, condamnés à repartir bredouille. J'eus les larmes aux yeux. Si près du but !
Déçu et affamé, je restais sur place ne sachant que faire. Brouillé par les larmes, je regardais la rue vide qui me renvoyait mon malheur.
-Si vous voulez, on peut partager ce repas. Il y en a assez pour deux personnes. Je n'habite pas loin, vous savez.
Je me retournais pour apercevoir la jeune fille avec un sourire accueillant.

 

          Lorsque je revins le lendemain, la file était encore plus impressionnante.
Élise, la jeune étudiante provinciale de Pont-Remy était déjà parmi les premiers. Elle se tourna vers moi et me fit signe de la main avec un sourire discret. Je répondis à son salut et jaugeais la longueur de la file. J'ai su immédiatement que j'allais subir le même sort que la veille. Je m'apprêtais à partir lorsque Élise vint vers moi avec deux sacs à la main.
-Je leur ai expliqué que tu n'as pas pu avoir ta part hier. Ils m'ont donné un sac pour toi aussi.
Nous remontâmes la rue Faubourg Saint Denis en direction de Barbès. Lorsque je pris les sacs de ses mains, mes doigts effleurèrent les siens. Elle retira son masque et posa un baiser sur l'éternité.
                                        
Covid 19 changea le cours de mon destin. 

 

 

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