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Laloum et le COVID-19

 

Laloum avait décidé de tout quitté avant que tout ne le quitte. 

La chance lui avait souri longtemps. Né dans une famille totalement démunie, il avait été recueilli à l’âge de 9 ans par une dame bienveillante. Laloum était devenu le garçon courtier de la demeure, et en contrepartie, il était nourri, logé, blanchi et éduqué. Il avait ainsi grandi et quand il fût en âge, il passa le permis de conduire. Avec l’aide financière de sa protectrice il put s’acheter une Ambassador et devint chauffeur taxi. Un mariage fût organisé, et la vie de famille prit forme. L’avenir était assuré, il s’était vraiment élevé dans la société. Pourtant, Laloum allait régulièrement s’enivrer avec une bande de copains. En rentrant, il abusait violemment de sa femme, allant jusqu’à la battre si celle-ci se montrait résistante. L’alcool prenait toujours plus d’importance dans sa vie, annihilant tout le reste. 

Un jour, alors qu’il devait aller chercher sa protectrice au temple de Ganesh, il prit le volant les yeux encore injectés d’alcool et s’engagea un peu trop vite dans la rue Isvarane Covil en direction du temple. Lakshmi, l’éléphante du temple achevait son périple quotidien de son pas lent et sûr. Laloum donna un violent coup de volant pour l’éviter et faucha un passant devant l’ancienne maison de Bharati. Le spectacle sanglant n’échappa à aucun des fidèles se rendant au temple, ni au chien Tripod Dog Baba qui tentait de se débarrasser de quelques puces. La chance avait fini par se lasser de cet ingrat de Laloum.

Le séjour en prison qui suivit ne fût pas le plus terrible malgré les fréquents passages à tabac. A son retour à la maison, il n’avait plus de permis de conduire, ni de taxis. Sa femme et ses enfants le regardaient avec mépris, et une cirrhose s’immisçait confortablement dans son corps. Il n’osa pas retourné voir sa bienfaitrice...

C’est ainsi que Laloum avait tout quitté.

Il vivait de petites courses faites pour des couturiers, des magasins divers. Il avait repris son rôle de courtier, même s’il n’avait plus la même rapidité qu’avant. Et surtout, il buvait tous ses revenus.

Il s’était approprié un coin de trottoir sur Beach road, à l’abri d’un grand arbre. Personne ne semblait prêter la moindre attention à lui, pourtant il trouvait régulièrement une feuille de banane ficelée contenant du riz ou des idlis avec du sambar à son réveil. La circulation était dense et l’atmosphère chaude et poussiéreuse. Quelques fois des petits cochons venaient fouiller dans ses affaires, mais ce n’était pas très important. La cirrhose faisait des dégâts intérieurs le rendant de plus en plus léthargique.

 

Le 14 mars 2020, un attroupement devant son arbre éveilla son attention. Des membres du groupe d’hindous Akhil Bharta Hindu Mahasabha haranguaient les passants à se protéger d’une maladie en buvant de l’urine de vache sacrée. Quelques adeptes se laissaient amadouer et avalaient docilement le breuvage, certains qu’ils n’attraperaient pas cette maladie nommée COVID-19. Laloum, dans sa torpeur alcoolique, se fît alpaguer et fut utilisé comme modèle. Des litres d’urines déferlèrent dans son organisme, de quoi le sauver de tous les maux de la terre. Dans l’heure qui suivit, il pissa durant plusieurs minutes, mais ne se senti pas trop mal. 

Quelques jours plus tard, le 19 mars exactement, le premier ministre Narendra Modi décréta le confinement général. Pour Laloum, cela se traduisit par l’absence totale de revenus et la sensation d’avoir perdu l’ouïe. En dehors des quelques cabots errants, pas un passant, pas une voiture, pas une moto ne rompaient le silence lourd. La vie autour était totalement interrompue. Ce silence ambiant exagérant la lenteur du temps qui passe. Comme si tout à coup, Laloum était seul sur terre, les poches et l’estomac vide, seul avec sa cirrhose. Finis les idlis et autres sachets de riz, le donateur mystérieux ne devait plus oser sortir de chez lui et risquer les coups de bâtons des forces de l’ordre pour non-respect du confinement. Et subitement, à 17 heures, un bruit assourdissant de quelques minutes : des cloches, des applaudissements, des bruits de vaisselle, que les citoyens étaient appelés à faire en hommage à ceux qui travaillent pour lutter contre le COVID-19. 

Sans alcool, les délires de Laloum devinrent douloureux. L’absence totale de bruits en dehors des chants d’oiseaux, et le vacarme brutal de 17 heures le firent sombrer dans un état comateux. L’urine de vache sacrée le protégea peut-être du COVID-19, mais pas de l’indifférence. Quand certains se battaient dans les foyers, que d’autres mourraient sur les routes pour rejoindre à pieds leur foyer, Laloum s’éteignait au pied de son arbre.

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