Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

La torchere egyptienne

         « Give time a break ». Un sourire narquois apparut sur les lèvres de Gautam en lisant le panneau publicitaire de PTDC où figurait la statue de Gandhi, le Matrimandir et Dupleix….. « Drôle de slogan pour un peuple qui est obsédé par le temps cosmique, mais en même temps se moque du temps chronologique. » Murmura-t-il entre les dents.  Le train venait de dépasser la gare de Villianur. Des passagers pressés se démenaient avec leurs bagages, tandis que d´autres se ruaient vers la porte du train. Gautam n´avait pas besoin de faire la même chose. Il savait que son ami A…. ne serait pas à l´heure. Il s´était habitué à ses retards. A chacune de ses visites, A…insistait toujours pour venir l´attendre, alors que Gautam connaissait très bien la ville.

           Les deux amis se connaissaient de longues dates. Gautam l´avait rencontré dans des circonstances particulières. Un jour qu´il était assis sur la plage de Pondichéry, derrière la statue de Gandhi, Gautam vit passer un groupe de personnes farfelues. Quelques jeunes hommes habillés à l´européenne étaient suivis par un groupe de pêcheurs jeunes et vieux. La scène aurait été anodine si la bande ne s´était pas comportée de façon bizarre.  Un des jeunes habillé à la dernière mode hippie qui paraissait être le leader tenait une guitare transparente où nageait des poissons. Les pêcheurs, qui d´habitude portaient des filets de pêche, tenaient sur leur tête des baffles, des amplificateurs et d´autres accessoires électriques. En se renseignant auprès du jeune homme, Gautam apprit que ce dernier était sur le chemin pour Veerampattinam pour aller donner un concert de rock. Un concert de rock dans un village de pêcheurs, pour les pêcheurs ! En voilà une idée saugrenue. Gautam se rappellera toute sa vie de cette soirée mémorable.

             La soirée avait pourtant très bien commencé. Malgré leurs rivalités, les pêcheurs de Vaitikuppam et de Veerampattinam avaient été très joviaux et bienveillants. Tout bascula lorsque l´orchestre qui avait commencé sa performance avec des chants tamouls, s´était mis à jouer du Led Zeppelin. Les spectateurs jusque-là amorphes, s´étaient déchainés sous les rythmes effrénés de la guitare-aquarium d´A….  La bagarre avait éclaté lorsque ceux de Veerampattinam voulaient du rock, alors que ceux de Vaitikuppam ne voulaient danser que sur la musique tamoule. Ce fut une sacrée mêlée. La police de Ariyankuppam qui avait dû intervenir emmena les fauteurs de troubles aux cheveux longs au commissariat, et ne les relâcha qu´après les avoir tondus comme des pèlerins de Mayilam.  Ce fut le début de leur amitié. A…. se disait artiste. Il était tour à tour, peintre, dramaturge, écrivain, cinéaste, danseur etc…  Personne ne savait ce qu´il faisait vraiment dans sa vie. Son excentricité soulevait de l´admiration et de la crainte en même temps.  Sa grande maison de la rue Laporte ressemblait à l´arche de Noe. A part s´occuper des animaux recueillis, personne ne l´a vu produire la moindre œuvre d´art.

                Le train approchait vers la gare de Pondichéry. Quelques hommes accroupis le long de la voie ferrée, déféquaient joyeusement en reluquant le panneau de Swacch Bharat. Narendra Modi déguisé en Maharaja d´Air India, faisait semblant de nettoyer une avenue déjà propre.

 

                 A peine était-il sorti de la gare, que Gautam fut attiré par deux conducteurs de rickshaws saouls qui s´empoignaient à quelques mètres de l´entrée principale. Pondichéry était fidèle à sa réputation de paradis artificiel. Deux anges éméchés se volaient dans les plumes.  

-Lâche moi thevudiya mavane ! Beuglait le premier. Il tenait une guirlande de jasmin dans sa main droite et essayait de monter sur le socle pour adorner la statue qui se trouvait à l´entrée de la gare.

-Thoumai ! Sangamangi ! Puisque je te dis que ce n´est pas Amma. Le deuxième essayait tant bien que mal de tirer son ami vers le bas.

-Poda Maiyru ! Je sais mieux que toi. C´est ma Amma. C´est son anniversaire aujourd’hui. Si tu ne me laisses pas lui mettre la guirlande, je te casserai la tête comme une noix de coco.

-Mounda Koudi ! Puisque je te dis que ce n´est pas Amma !

-ça se voit que tu ne connais rien. Tu as vu le film Kaavalkaarane ? Tu connais la chanson Ninaithen Vandaii ? Eh bien, cette statue ; c’est elle, notre Amma, Jayalalitha !

-Day, Moundam ! Ce n´est pas Jayalalitha. C’est une vellakarichi da.

Gautam était sur le point d’intervenir ; mais se résigna. Les deux hommes dégringolèrent en bas de la statue et roulèrent allègrement sur le sol en se donnant des coups de poings.

Tripod Dog Baba qui regardait de loin la bagarre s´approcha des deux hommes. Sans se soucier de la situation, il s´empara de la guirlande qui traînait sur le sol. Il la passa autour du cou, et partit s´installer paisiblement a cote de l´échoppe de thé où était assis A….entrain de fumer une beedie.

Gautam le salua et pris place sur le banc en commandant un thé.

-Au fait, je voulais te poser cette question plusieurs fois. Que représente cette statue ? Demanda-t-il a son ami qui paraissait rêveur à cause de son joint matinal.

-Hmmm ? Ah oui, cette statue ! C´est La torchère égyptienne. Elle provient de la fonderie d´Art du Val d´Osne. Le statuaire est un sculpteur français célèbre au nom de Mathurin Moreau. Des répliques existent à Paris, à St Etienne, en Algérie dans le jardin Miliana, et aussi à Rio de Janeiro.

-Intéressant ! Et comment est-elle arrivée ici ?

-Difficile à dire. Certains disent qu´elle aurait été offerte par Lord Buckingham lors de l´inauguration du chemin de fer le 15 Décembre 1879. D´autres prétendent qu´elle était déjà là avant la construction de la ligne qui a débuté en 1878. En fait, la ligne de Pondichéry a Villupuram est longue de 38 kms dont 12,5 ont été posés en territoire français. Le reste, établi en territoire anglais fut construite par le Gouvernement de l´Inde et exploitée par la South Indian Railway. La partie posée en territoire français a été concédée en 1878 a Pondichery Railway Company par La Colonie pour une somme de 1.264.375 fr.

-Donc, cette statue n´a rien à avoir avec cette Amma alors ?

-Tout le problème est là, dans ce pays. Quand on ne connait pas l´origine des choses, au lieu de les chercher, on en fabrique. Inventer des traditions est devenu le sport national des indiens. Tout se change, se métamorphose, se perd, pour ensuite réapparaitre sous une autre forme.

A…jeta un regard dégouté vers Tripod Dog Baba, qui avec sa guirlande autour du cou arborait un air de sainteté. Quelqu’un avait eu la présence d´esprit de placer un récipient pour l´obole qui était en train de se remplir.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :