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Temple d´Irumbai

Il y a plus de 500 ans, Kaduveli Siddhar qui habitait dans le village d’Irumbai était plongé dans un recueillement intense sous un immense peepal. Il fut bientôt recouvert par une fourmilière géante qui s’était formée autour de lui. La chaleur qui émanait de son corps était tellement extrême que le petit royaume du roi d’Edayanchavadi fut frappé par la sécheresse. Les cours d’eau se desséchèrent ; le sol autrefois fertile s’était durci pour devenir aride et se transformer en argile rouge. Les habitants en souffrirent ; mais personne n’osa déranger le Siddhar de sa méditation de peur d’avoir affaire à sa malédiction. Le roitelet ne sachant que faire lança un appel à la population. Seule une Devadasi au nom de Valli se présenta et assura le roi qu’elle pouvait sortir le saint homme de sa méditation.

Pendant cette période, le Siddhar se nourrissait à base de feuilles du peepal qu’il cueillait, les yeux fermés. Il lui suffisait de tendre le bras pour que les feuilles tombent au creux de sa main. Sachant cela, Valli confectionna des appalams qui étaient aussi fines et légères que les feuilles, et les déposa jour après jour dans la main du Siddhar. Ce dernier, qui pendant très longtemps était habitué à une sévère austérité, prit goût à sa nouvelle nourriture et à cette belle femme qui lui donnait à manger. Son appétit revint et il mit fin à sa sévère méditation. Le minuscule royaume retrouva ses cours d’eau. Une pluie abondante se déversa sur le pays ; les habitants d’Edayanchavadi et des villages aux alentours furent submergés par la joie. En guise de remerciement, le roi organisa une énorme fête où il fut décidé que Valli danserait dans le temple millénaire d’Irumbai, où Makaalar Rishi en personne avait installé un lingam. Il y avait monde ce soir-là au temple. Le roi en personne vint assister au spectacle avec le Siddhar comme hôte principal. Grisée par son succès et par les acclamations des spectateurs, Valli se lança dans une danse si effrénée qu’elle en perdit son salangai ; ce qui la déstabilisa et fit arrêter sa danse. Envahi par la compassion, le saint homme se précipita au secours de la danseuse affolée. Il prit le bracelet et le rattacha à la cheville de Valli. Ce geste provoqua la stupeur chez les spectateurs. Le roi et les prêtres en furent horrifiés. Comment un homme saint aussi honorable que lui pouvait-il toucher les pieds d’une prostituée ? Cet incident fut suivi par des chahuts et des remarques sarcastiques qui provoquèrent la colère de Kaduveli Siddhar. Il pria Dieu pour qu’une pluie de pierres s’abattît pour prouver son innocence. Aussitôt une pluie de grêle s’abattit sur le temple et brisa le lingam qui se scinda en deux, dont la partie supérieure se dispersa en plusieurs morceaux. La malédiction du siddhar fut encore plus cruelle. Il prédit qu’il sévirait une sécheresse sans précédent, partout où les morceaux s’étaient éparpillés. Terrifiés par ce qu’ils venaient de voir, le roi et ses sujets s’agenouillèrent et demandèrent pardon au saint homme. Celui-ci une fois calmé leur dit que l’imprécation était irrévocable, mais que la sécheresse prendrait fin lorsque des étrangers venus de très loin s’établiraient ici et rendraient la fertilité à ce terrain.

 À la création d’Auroville en 1968, c’est avec horreur que la population de Pondichéry vit débarquer cette horde d’extravagants étrangers fangeux, barbus, les cheveux longs en bataille, mal vêtus et pieds nus. Certains se promenaient dans la ville, torse nu vêtu de kailis maculés retroussés sur des jambes maigres sous les regards ahuris des habitants. Ceux-ci habitués à voir des Européens bien habillés qui fréquentaient les clubs privés et le Cercle de Pondichéry étaient choqués de croiser ces hippies qui, pieds nus, erraient dans les rues avec leur mine hagarde et qui méditaient nus sur les plages de Pondichéry. Ils ne comprenaient rien à cette cohorte de déguenillés qui parlaient d’amour, de paix, d’harmonie et de société nouvelle. Tous ces soldats qui avaient fait la guerre d’Indochine, d’Algérie et d’autres sales guerres de la nation écoutaient éberlués ces nouveaux messies enfumés qui prêchaient maintenant la non-violence et la paix dans le monde. Comment pouvaient-ils comprendre cette génération d’enfants perdus qui s’étaient jetés sur les chemins de l’Orient et d’Asie à la recherche de spiritualité et de sagesse que l’Occident avait perdues ? Les Pondicheriéns qui au début regardaient ces Sâdhus pour la plupart blancs d’un air amusé furent alarmés quand leurs enfants commencèrent à les imiter. Mais ils n’eurent guère besoin de s’inquiéter. Car leurs progénitures ne partageaient avec cette bande que le goût à la rêverie et aux drogues. Ils n’étaient pas intéressés par les hippies fakirs en quête de spiritualité, ou de gurus du Nouvel Âge qui ne se mélangeaient pas avec le reste de la population, préférant vivre en communauté dans cette cité illusoire à la poursuite d’un rêve utopique. De temps à autre, on pouvait apercevoir ces silhouettes blanches rougies par la terre rouge descendre en ville entassées dans des chars à bœufs. Ils faisaient leurs courses et s’arrêtaient au Continental pour boire un verre. Dans le silence de la nuit, le grelot accroché au cou des bœufs intoxiqués résonnait le long du cours Chabrol. Kaduveli Siddhar devait bien rire dans sa termitière.

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